Le texte est incroyable ! L'effort fait pour exprimer tous les points de désaccord sans juger ni maudire est splendide ; mise à part peut-être les 5 lignes du tout début qui sont assez péremptoires mais c'est tout !
Dans l'absolu j'y ai découvert plein de trucs que pour la plupart j'approuve. Il y a forcément des délicatesses où j'argumenterais différemment et je vais d'en parler ici.
1) Le problème de l'accès aux toilettes de M. Jones qui est une "femme biologique" ou Mme Jone qui est un "homme biologique" (les guillements sont importants, j'en parlerai ensuite).
Il y a un élément à prendre en considération, les remarques que M. ou Mme Jones peuvent entendre en fonction du toilette dans lequel il/elle se rend n'est pas forcément contre lui/elle mais pour les autres. Alors évidemment, si j'étais trans (ou dans le même cas qu'Eloise) bien sûr que je le prendrai mal, mais c'est très difficile de savoir si les cissexuels de l'exemple auraient interrompu l'entrée de la personne trans pour la rejeter ou pour se protéger. Dans la pratique l'interaction est la même accordons-nous, mais philosophiquement dans un cas il y a l'intention manifeste de nuire alors que dans l'autre cas non.
2) L'analogie du genre attribué à la naissance avec le système de caste.
Dans la section "LE MYTHE DU PRIVILÈGE CISSEXUEL DE NAISSANCE", l'analogie entre sexe attribué à la naissance et caste attribuée à la naissance au moyen du système de caste me semble incorrecte car une personne qui change de caste reste cette même personne, attribution de naissance ou pas.
Par contre mon ADN est littéralement une identité (et pas que de genre), en changer fait de moi une autre personne, là où un changement de caste n'implique qu'un changement d'état dans la société. En ce sens, c'est difficile de parler d'hypocrisie mais si je comprends le point de vue (je sais qu'ici je fais référence exclusivement au sexe biologique mais encore une fois je vais y revenir).
3) La légitimité à se sentir femme
[...] La vérité est que les femmes cissexuelles se sentent légitimes de se nommer femmes parce que 1/ elles s’identifient ainsi, 2/ elles vivent leur vie en tant que femme, et 3/ les autres personnes les voient comme des femmes [...]
Il manque peut-être un (4) : nous nous sentons légitimes de nous nommer femmes parce que nous savons que même si les gens ne nous voyait pas comme telles, ces personnes ne pourraient jamais invalider pour une raison ou une autre que nous soyons effectivement des femmes. Le fait de se savoir inattaquable renforce le sentiment de légitimité.
4) L'authenticité du genre par le sexe de naissance
Une légitimité que se donnent les femmes cissexuelles à se penser en femme et à dégenrer les trans c'est leur capacité à donner la vie. Et c'est de cette capacité que découle l'idée que le sexe féminin "authentique" soit bel et bien authentique, ou comme le dit l'article soit la "version premières" ou "vraie".
C'est ici l'un des seuls points désaccord que j'ai avec le livre, même s'il rapporte l'exemple de personne ayant eu un accident pour se dédouaner. Une de mes tantes a malheureusement eu un cancer à deux reprise, la première conséquence est qu'elle a subit une mastectomie radicale, perdant ses seins qui ont été reconstruits via des prothèses et donc sa capacité à allaiter. La seconde fois elle a perdu la capacité d'avoir un enfant et je me souviendrai toujours de ses paroles qu'elle a tenu à ma mère alors que je n'étais même pas une ado : "Tu te rends compte, je ne suis même plus une femme"...
Seule une femme peut comprendre à quel point ces deux capacités sont importantes.
5) L'exemple du livre de Pat Califia, Le Mouvement Transgenre
L'exemple est intéressant mais je ne suis pas sûr qu'on puisse dire qu'il matérialise une différence de traitement. Je m'explique, quelque part et tant qu'on ne remarque pas quelque chose, on continue de faire sans... Mais dès l'instant où l'on remarque quelque chose, alors on ne peut plus s'empêcher de la remarquer. C'est un peu comme la pub à la télé, une fois qu'on a appris à se passer de la télé, on se rend compte à quel point la pub y est omniprésente. Je trouve que ça réduit l'envergure de l'idée portée par Pat Califia.
6) Le sexe non-biologique et donc non-organique
La notion du sexe biologique, comme dans l'appellation "femme biologique" qui implique la notion de "femme non-biologique" est intéressante mais l'argument omet le troisième sens du mot biologique à savoir : "Qui est fondé sur les fonctions biologiques".
Aussi, une "femme biologique" n'est donc pas une femme organique (sens premier) mais une femme qui détient les fonctions biologiques inhérentes aux femelles, à savoir la grossesse, l'allaitement, les règles, etc.
C'est un peu l'argument de @Chlouchloutte, être une femme ce n'est pas seulement se vêtir d'une certaine manière, avoir une attitude ou une certaine morphologie, c'est soit plus soit autre chose et cela peut aussi comprendre un ensemble de capacités physiologiques reconnues et valorisées pas par la société mais par l'espèce elle-même pour sa survie.
7) LA MYSTIFICATION DES PERSONNES TRANS
Je ne pense pas que le mysticisme face à une personne transsexuelle soit dû à de la fascination mais au fait que le choix de transiter (transitionner ?) doit sûrement être l'une des choses avec le plus de conséquences qu'un humain puisse vivre, peut-être même au-delà d'avoir un enfant !
Cela ne va pas seulement vous toucher vous en profondeur mais impactera votre rapport aux autres, à votre famille, à votre travail, bref à l'ensemble des interactions que vous aurez.
C'est la réalisation de l'étendue de ces conséquences et du fait que malgré elles, le choix fût fait et le cap maintenu qui fait dire aux gens : "[...] combien il leur est incroyable que j’aie autrefois vécu en tant que garçon, comme si je les avais blufféEs en usant d’un tour de passe-passe".
C'est quelque part autant une reconnaissance de la force de caractère des transsexuels qu'une forme respectueuse d'admiration mais je ne pencherai pas vers le côté mysticisme comme décrit dans le récit (même si j'en comprends les raisons).
En conclusion
Un texte à lire absolument, ne serait-ce que pour matérialiser le processus inconscient de genrement que nous employons en tant que cissexuels, c'est une remise en question de ses propres perceptions et c'est très bien expliqué !
Est-ce qu'une personne anciennement homme biologique, aujourd'hui transsexuelle devenue femme est bien une femme ? Je ne sais pas. Le texte est un game-changer et il faut que j'y réfléchisse.
En vrac et dans mes remarques / questions il y a :
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Le fait que le processus de genrement soit purement spéculatif. Je dirais plutôt que c'est un processus basé sur des observations et qui reposent sur des conjectures acquises dans le passé. Observer un transsexuel pour la première fois revient à observer un cygne noir pour la première fois (cf. l'exemple classique en économie) et donc remet en question la conjecture sur laquelle nous nous appuyons. Mais même s'il y a une probabilité, ce phénomène n'est à mon sens pas purement spéculatif comme l'exprime le texte. D'ailleurs le livre explique bien que dans les grandes villes, la personne transsexuelle était reconnue comme telle alors que ça n'était pas le cas en campagne, simplement parce que la conjecture ne pouvait pas être raffinée jusqu'à ce point.
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Ce texte est à destination des trans mais il serait judicieux de le transformer pour le rendre abordable aux gens pas formés à l'écriture inclusive : le fond doit primer sur la forme. Dans les exemples qui m'ont fait taper un "WTF?" (ne pas se moquer) :
- des observateurices passiFves
- vous déterminez le genre des genTEs
- dont les producteurICEs médiatiques
- La plupart des cissexuelLEs
- d’être attentiFVEs
- pour nous d’être francHEs
- la plupart des cissexuelLEs occidentaUXLES
Je n'ai aucune idée du sens exact du dernier !! Je l'ai interprété comme "occidentaux" tout court en passant sûrement à côté de quelque chose.
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Question : la transphobie c'est le fait de vouloir se débarrasser des trans ou c'est simplement de malgenrer quelqu'un ?
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Pour conclure sur un troll (parce que c'est important) : Pourquoi l'écriture inclusive encourage des emplacements dédiés pour les non-binaires avec des mots comme "iels" mais que ces mêmes emplacements pour non-binaires seraient à la limite du nazisme dans des toilettes ?
@Lou ok mon troll est une taquinerie mais je la trouve drôle ne m'en tiens pas rigueur. Du reste merci pour ton post, vraiment. Laisse-moi quelques jours et nous pourrons en reparler, là j'ai trop d'informations à digérer. <3