Pour recherches.
Petit passage qui plaira à Antichesse :
"Ce qui jette le plus de confusion dans l'esprit, c'est l'emploi qu'on fait de ces mots : démocratie, institutions démocratiques, gouvernement démocratique. Tant qu'on n'arrivera pas à les définir clairement et à s'entendre sur la définition, on vivra dans une confusion d'idées inextricables, au grand avantage des démagogues et des despotes. On dira qu'un pays gouverné par un prince absolu est une démocratie, parce qu'il gouvernera par des lois ou au milieu d'institutions qui sont favorables à la condition du peuple. Son gouvernement sera un gouvernement démocratique. Il formera une monarchie démocratique. Or les mots démocratie, monarchie, gouvernement démocratique ne peuvent vouloir dire qu'une chose, suivant le sens vrai des mots ; un gouvernement où le peuple prend une part plus ou moins grande au gouvernement.
Son sens est intimement lié à l'idée de la liberté politique. Donner l'épithète de gouvernement démocratique à un gouvernement où la liberté politique ne se trouve pas, c'est dire une absurdité palpable, suivant le sens naturel des mots. Ce qui a fait adopter ces expressions fausses, ou tout au moins obscures, c'est : 1° le désir de faire illusion à la foule, le mot de gouvernement démocratique ayant toujours un certains succès auprès d'elle ; 2° l'embarras réel où l'on se trouvait pour exprimer par un mot une idée aussi compliquée que celle-ci : un gouvernement absolu, où le peuple ne prend aucune part aux affaires, mais où les classes placées au-dessus de lui ne jouissent d'aucun privilège et où les lois sont faites de manière à favoriser autant que possible son bien-être." - Tocqueville[...] il est évident que, par démocratie, il entend le plus souvent un état de la société et non un mode de gouvernement. [...]. La démocratie, telle que la voit ce descendant d'une grande famille, c'est donc la disparition de l'aristocratie, le nivellement des conditions. Aussi envisage-t-il une « république libérale ou une république oppressive » et, plus encore, « la liberté démocratique ou la tyrannie démocratique ».
Le fragment que nous avons cité prouve seulement que Tocqueville hésitait à rompre entièrement avec l'usage traditionnel du mot démocratique, qui désigne un mode de gouvernement, et aussi qu'à ses yeux, l'adjectif démocratique appliqué au gouvernement implique la participation du peuple à la gestion des affaires publiques. Quand Tocqueville évoque le despotisme démocratique, il songe au despotisme qui peut surgir dans les nations démocratiques, il n'a pas l'intention d'attribuer la dignité de démocratique à un despotisme. Car, en tant que mode de gouvernement, le despotisme est le contraire de la démocratie.Concluons cette première analyse : la démocratie, selon Tocqueville, est d'abord et avant tout un fait social, l'égalité des conditions. Ce fait a pour expression normale, dans l'ordre politique, la souveraineté du peuple et la participation des citoyens aux affaires publiques. Dans l'ordre économique, bien qu'il n'implique pas la fin des inégalités de richesses, il suscite la protestation des pauvres contre la répartition des fortunes et il tend à favoriser normalement la réduction des inégalités. Mais la société démocratique n'est pas, pour autant, nécessairement libérale.
Dans le prolongement de Montesquieu, Tocqueville entend par liberté d'abord la sécurité de chacun sous la protection des lois. Etre libre, c'est n'être pas exposé à l'action arbitraire des puissants ou des autorités. Cette protection contre l'arbitraire doit s'étendre aux minorités et interdire au peuple même d'abuser de ses droits. A n'en pas douter, Tocqueville aurait approuvé la phrase fameuse de Montesquieu {L'esprit des lois, XI, 2) : « Enfin, comme dans les démocraties, le peuple paraît à peu près faire ce qu'il veut, on a mis la liberté dans ces sortes de gouvernements, et on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple ». Et encore (XI, 3) : « La liberté politique ne consiste point à faire ce que l'on veut ».
Tocqueville était, en son coeur, un aristocrate qui ne détestait pas l'égalité des conditions, mais qui avait horreur de l'esprit servile qui fait obéir. Il craignait que le souci exclusif du bien-être ne répandît parmi des hommes, isolés en leurs petites affaires, un tel esprit de bassesse.